LE BOCAL – UNE POÉSIE ENCAPSULÉE

Du haut de mon perchoir

telle une Poissonne à plumes dans sa cabane vitrée

je m’épivarde dans mon solarium balconesque

mon aquarium à locataire privilégié

mon bocal fenestré.

Dans ma tour d’ivoire, pour y voir

je fais du people watching

en social distancing

Je réfléchis, je rêve, je fabule, je nage

au 9ème ciel d’un high rise de 15 étages

Un des rares encore dans mon quartier

qu’on cherche à densifier

Dans ce Vieux Strathcona, ce theatre district

je cherche le sens de tout ça

j’écoute ce que mon intuition me dicte.

Et malgré tout s’égrènent les heures, les jours, les semaines.

Dans le parc McIntyre, les tentes du camp Pekewewin

sont disparues une à une pour réapparaître quelques rues plus haut.

Certains soirs, les ambulances qui rôdaient près du gazébo

faisaient tourner leurs gyrophares en slow mo.

Des cerises du même rouge que les installations lumineuses

des hashtags couleur passion

des manifestations silencieuses

« lightuplive » et « éclaironslesscènes »

car les scènes de mon quartier

sont bien sombres depuis l’hiver dernier.

They’ve gone dark

comme un long lundi de congé ininterrompu

Pas de son, pas de lumière

indéfiniment suspendu

le rideau tombé

Monday through Sunday

Shakespeare disait que All the World’s a Stage

et maintenant le film de nos vies défile surtout

sur nos écrans bleus

un théâtre numérique sans filtre

la toile, une bulle aux milles tentacules

smoke screen

cage dorée

lunettes roses

regard embué

un bal masqué

où tout le monde est invité à danser

isolés isolés

Alors bien installée dans ma plateforme

je me lance dans cette aventure

comme une bouteille à la mer.

Un balad’eau, un feuilleton, une lettre

des conversations en direct

des connexions sous influence

des live, des premières

du contenu en abondance

des selfies, des commentaires.

Pourquoi? Pour juste… ne pas RIEN faire

Pour dédramatiser la lucidité

Pour orbiter autour du pôle positif

Pour cultiver l’optimisme

Pour ne pas caler, ne pas se noyer

dans une réalité qui nous glisse entre les doigts

Swipe d’un bord, like de l’autre

face à un monde qui ne s’apprivoise pas

Pour avoir l’impression de saisir le moment

de se l’approprier, de le capter, de le comprendre

il faut peut-être se le raconter

le poétiser

en rire, surtout

Quand même

En tous cas…

au moins

essayer.

Je suis Josée Thibeault.

Bienvenue dans Le bocal.